INTERVIEW | Conséquences et alternatives de l’exclusion des banques russes de SWIFT

07/04/2022

Slim Souissi, maître de conférences à l’IAE Caen

Le 12 mars dernier, dans le cadre des sanctions économiques prises à l'encontre de la Russie suite à l’offensive menée en Ukraine, les États-membres de l'Union européenne décidaient d'exclure plusieurs banques russes du système SWIFT. Quelques semaines après la mise en application de cette sanction, quelles en sont les conséquences sur l’économie russe ? Existe-t-il des alternatives possibles ? Décryptage avec Slim Souissi, spécialiste des banques, maître de conférences et directeur adjoint du pôle IUP - Banque Finance Assurance de l’IAE Caen à l’université de Caen Normandie.

 

Qu’est-ce que SWIFT, et quelles sont concrètement les conséquences de l'exclusion des banques russes du système ?

SWIFT, pour "Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications", est une société coopérative basée près de Bruxelles destinée à faciliter la communication entre établissements bancaires à l’échelle internationale. Détenue et contrôlée par ses adhérents, parmi lesquels les plus grandes banques, elle est la principale plateforme d’échanges permettant la circulation des flux de capitaux transfrontaliers (les virements bancaires par exemple), notamment pour les entreprises qui réalisent des opérations d’import-export. Le code BIC (pour Bank Identifier Code également appelé code SWIFT), indiqué sur le Relevé d'Identité Bancaire (RIB) que nous utilisons couramment, est un code géré par SWIFT. 

Une banque exclue du système SWIFT ne peut plus communiquer par ce biais avec les autres établissements financiers. Les conséquences sont donc lourdes pour les clients concernés, qui ne peuvent plus assurer leurs transactions de négoce à l’international. La bourse de Moscou ayant  été fermée pendant une longue période et qui vient de rouvrir partiellement, il est encore difficile d’évaluer l’impact de ces mesures d’exclusion sur la capitalisation boursière des entreprises russes. Les conséquences directes de cette situation sur les banques françaises demeurent en revanche pour l’instant relativement mesurées, la Russie n'arrivant qu'à la 14ème place des partenaires commerciaux de la France. 

 

Y a-t-il des alternatives possibles à SWIFT ? Existe-t-il un précédent à cette situation ?

La Russie s’est rapprochée de la Chine pour mettre en place un système alternatif à SWIFT via un projet de fusion de CIPS (China International Payments System), plateforme créée par la Chine, et SPFS (System for Transfer of Financial Messages), son alter-ego russe. L’objectif est d’ouvrir ce système à l’ensemble des banques internationales, notamment en Europe et aux Etats-Unis, pour concurrencer SWIFT. Avec plus de 11 000 clients du système SWIFT et seulement 400 pour SPFS le système russe reste toutefois une solution relativement marginale. 

L’une des autres alternatives évoquées sont les cryptomonnaies. En 2018, après son retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, les Etats-Unis avaient contraint SWIFT à exclure les banques iraniennes dans le cadre de sanctions visant les secteurs pétrolier et financier. Le pays s’était alors penché sur les cryptomonnaies pour tenter de maintenir ses transactions internationales. Cependant, les volumes du commerce extérieur russe sont tels que même la capitalisation boursière du bitcoin, qui est pourtant principale monnaie virtuelle en circulation, ne suffirait pas pour permettre aux banques du pays de basculer sur ce moyen de paiement.

 

En conclusion, à quoi doit-on s’attendre dans les semaines ou mois à venir ?

Si cette mesure d’exclusion est draconienne et inédite à cette échelle, elle reste partielle puisque toutes les banques russes n'ont pas été exclues de SWIFT. En particulier, la troisième banque Russe GazPromBank, qui est principalement détenue par le groupe Gazprom, y a toujours accès, pour permettre les importations de gaz et de pétrole russes vers l’Europe.

De son côté en revanche, la Russie commence à restructurer son économie vers une “économie de guerre” : investissements massifs dans le ministère des armées, rationalisation des matières premières, suspension des transactions en devises étrangères. Certains économistes préconisent que les pays européens en fassent de même mais je pense que nous n’en sommes pas là. Preuve en est la récente déclaration de la banque centrale européenne, qui ambitionne de ramener le taux d’inflation à 2%. Ce genre d’objectif n’est clairement pas d’actualité en temps de guerre. Nous menons une guerre économique contre la Russie, soit, mais nous ne sommes pas encore nous même dans une économie de guerre.

 

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